
I. LA CRYOGÉNISATION
A première vu se faire cryogéniser sortirait tout droit d'un film de science fiction. Contourner la mort et revenir à la vie ne résulterait pas de l’action de l’homme. Mais Robert Ettinger surnommé “le père de la cryogéniation”ne partageait pas cet avis. Ce fut alors la naissance d’un pari fou : celui de ramener les morts à la vie.
Tout commence après la Seconde Guerre Mondiale, durant laquelle Robert Ettinger, physicien et universitaire américain fut gravement blessé. C’est dans sa chambre d'hôpital qu’il décida alors de s’intéresser au travaux du cryobiologiste français Jean Rostand. Fasciné, Ettinger se demande s'il ne serait pas possible d'appliquer les méthodes de cryoconservation à un être humain afin de le rendre immortel.
Ainsi naquirent les premières idées de cryogénisation.
Quelques années plus tard, en 1962, Ettinger publie son livre The Prospect of Immortality
(La Perspective de l'Immortalité) dans lequel il évoque les bases de la conservation d'êtres humains par le froid, notamment à l'aide d'azote liquide. Dès lors, le professeur connu un relatif succès et fut invité à diffuser ses idées dans certains médias.
Cinq ans plus tard, le rêve du physicien voit le jour et la première expérience de cryogénisation se réalise. En effet, James Bedford, psychologue et universitaire américain et passionné de cryonie, découvre qu'il n'a que peu de temps à vivre à cause d'un cancer du rein et décide de se porter volontaire pour tester un procédé de cryogénisation. C'est ainsi, qu'en 1967, le professeur Bedford, alors âgé de 73 ans, est le premier patient à être plongé sous de très basses températures.
Par la suite, des expériences sur des animaux sont réalisées pour prouver l’efficacité des méthodes utilisées. Ainsi en mai 1992, un babouin fut congelé grâce à la procédure habituelle (remplacement de son sang par une synthèse antigel à base de glycérol,…). Après une heure, pendant laquelle son corps fut amené à environ 0°K, il fut ramené à la vie ! On réalisa la même expérience avec un chien qui resta quatre heures à cette température puis fut également ramené à la vie.
Après avoir fondé le Cryonics Institute en 1976, Robert Ettinger rallia de nombreux optimistes à sa cause. Suite à la conservation dans l'azote liquide de sa mère et de ses deux ex-femmes, c'est au tour du professeur de se faire cryogéniser à sa mort, en 2011.
À ce jour, environ 300 personnes sont cryogénisées à travers le monde et on estime à près de 985 le nombre de personnes ayant demandées à se faire conserver dans l'azote liquide après leur mort.

A) HISTOIRE DE LA CRYOGÉNISATION
B) PRINCIPES ET FONCTIONNEMENT
La cryogénisation se base sur la croyance que la mort n'est pas un événement soudain mais un processus qui pourrait être inversé si on le stoppe dans les minutes ou les heures suivant la mort clinique. Les partisans de la cryonie croient donc en une réversibilité du processus de mort, permettant ainsi de vivre éternellement. L'un des principaux arguments avancés par les adeptes de cryonie est leur amour pour la vie et leur curiosité les poussant à rester vivant pour savoir à quoi ressemblera la vie durant les siècles prochains.
Le patient désirant se faire cryogéniser doit passer, avant sa mort, un contrat avec une entreprise proposant ce service. On en dénombre 3 à ce jour : Alcor et Cryonics Institute implantées aux États-Unis, ainsi que Kriorus basée en Russie.



Ce contrat prévoit la prise en charge du patient après sa mort clinique et la délivrance d’un contrat de décès par un médecin. Les équipes d’un des instituts prennent alors l’individu en charge, de préférence avant les 6 heures suivant le décès pour éviter la dégradation de l’organisme. Le corps doit ensuite être refroidi progressivement, tout d’abord en le plaçant dans un bain d’eau glacée. Un support cardio-pulmonaire doit également être installé afin d’assurer la circulation sanguine, celle-ci ralentira la détérioration du corps, assurera la bonne conservation du cerveau et permettra la mise en place d’une médication, dont des agents anticoagulants pour assurer la fluidité du sang. Une fois l’état du patient stabilisé, celui-ci doit être transporté jusqu’à la clinique de l’institut choisi, afin de subir d’autres opérations.
Une fois le patient arrivé à la clinique, sa tête est placée dans un bac à glaçons et un circuit de perfusion est mis en place afin de remplacer tout le sang par une solution cryoprotectrice.

Celle-ci aura une action d’antigel et permettra la bonne conservation des cellules en mettant en place un processus de vitrification plutôt qu’un processus de congélation. En effet, le refroidissement du corps à de très basse température entraînerait le gel en cristaux de glace de l’eau présente dans les cellules, causant de très gros dégâts tels que l’endommagement de la membrane plasmique ou la déshydratation de la cellule

L'eau est à l'état liquide et ses molécules (en bleu) sont en contact, en mouvement et désordonnées

L'eau est en train de se solidifier et ses molécules s'organisent de façon ordonnée en repoussant les autres composants chimiques (en rouge et vert).

De gros cristaux emprisonnent les cellules et celles-ci sont déshydratées car l'eau présente dans le cytoplasme s'est échappée par la membrane plasmique afin de rejoindre les molécules d'eau qui ont cristallisé entre les cellules. Les cellules ainsi déformées ne sont plus fonctionnelles.

L'eau est à l'état liquide et ses molécules (en bleu) sont en contact, en mouvement et désordonnées
La plupart de ces solutions cryoprotectrices, aussi appelées antigels, sont réalisées à base de diméthylsulfoxyde (abrévié DMSO), un solvant organique miscible dans l’eau et de faible toxicité s’il est bien utilisé. La forte polarité de la molécule de DMSO (C₂H₆OS) s’explique par sa représentation spatiale et donc la répartition de ses barycentres de charges partielles. Cette structure du DMSO facilite également la création de forte liaisons hydrogène entre le Diméthylsulfoxyde et l’eau

Les molécules de la solution cryoprotectrice se lient aux molécules d'eau et augmente la viscosité du liquide

Les molécules d'eau ne peuvent pas s'organiser en cristaux car elles sont retenues pas les molécules de la solution cryprotectrice. De plus, le point de congélation de l'eau est abaissé.

La température est en-dessous de -125°C, l'eau est devenue un solide amorphe, un verre, elle n'endommage pas la cellule qui reste en bon état.

Les molécules de la solution cryoprotectrice se lient aux molécules d'eau et augmente la viscosité du liquide
C’est là qu’interviennent les solutions cryoprotectrices, celles-ci vont empêcher la formation de cristaux lors du refroidissement du corps.
Cette facilité à créer des liaisons avec l’eau permet au DMSO de maintenir celle-ci à l’état liquide à des températures plus basses que le point habituel de congélation (O°C). De plus, les molécules d’eau liées au Diméthylsulfoxyde ne pourront pas s’organiser en cristaux lorsque le point de congélation est atteint. Ainsi, on dit que l’eau n’est ni solide, ni liquide, mais dans un état de solide amorphe : c’est la vitrification. La glace amorphe obtenu occupe peu de volume par rapport à la glace cristalline, n’abîme pas la cellule et garde une mobilité suffisamment importante pour circuler à travers les vaisseaux sanguins.
À la suite de cette perfusion, le corps est amené le plus rapidement possible à une température qui permettra sa transition vitreuse* par une diffusion ambiante d’azote gazeux à environ -125°C. À la suite de ce processus d’environ 3 heures, le corps du patient est « vitrifié »: il est devenu un solide amorphe, un verre.
Dans les 2 semaines suivant l’opération, le corps du patient est progressivement amené à la température de l’azote liquide, -196°C. Il est ensuite placé dans un sac de couchage, lui-même entreposé dans une cuve appelée vase de Dewar (procurant une très bonne isolation thermique), remplie d’azote liquide. Ce type de cuve peut accueillir près d'une dizaine de patients cryogénisés et les corps sont placés la tête en bas afin d'éviter tout dommage au cerveau en cas de baisse du niveau d'azote liquide.

La conservation d'un être vivant par le froid s'appuie sur l’action de ce dernier sur le phénotype moléculaire. Sous l’effet de basses températures, l’activité des enzymes est inhibé et la catalyse enzymatique est empêchée, permettant ainsi une conservation en l’état des cellules du corps cryogénisé.
En dessous de -45°C, la plupart des réactions enzymatiques sont stoppées, ou ralenties de façon considérable.

Exemple d'évolution de l'activité d'une enzyme (tyrosinase) en fonction de la température
L’assemblage des ribosomes est inhibé, ce qui provoque une diminution des synthèses de protéines. La fluidité des membranes est réduite et l’ensemble des fonctions membranaires telles que le transport des ions ou des nutriments s’en trouve affecté. Cette réaction a des conséquences sur la plupart des processus biologiques.
Les bactéries réagissent de la même façon que les enzymes (elles sont également ralenties) et leur prolifération est stoppée.
